Français et latin dans l’enseignement secondaire

En 2015, l’ALLE s’est engagée au côté des associations d’enseignants de lettres pour défendre la place du latin et des langues anciennes dans notre société. À langue « morte », communauté bien vivante : les débats autour du projet de réforme du collège ont fait réagir l’opinion publique, ce qui nous a révélé une fois de plus combien le latin est intimement nôtre. De nombreux médias, de tous bords politiques et de tous horizons intellectuels, ont relayé les inquiétudes à l’idée de la dissolution, voire de la disparition, des langues anciennes dans le nouveau collège. On n’a peut-être jamais autant lu d’éloges du latin, langue riche d’une unitas multiplex, langue matricielle chargée d’une mémoire historique et culturelle, langue tout à la fois de l’identité et de l’altérité.

L’ALLE tient à réaffirmer que le latin appartient naturellement au projet d’une école ambitieuse, qui donne à tous la capacité raisonnée de maîtriser pleinement sa langue et le passé d’une Europe dont nous sommes aujourd’hui les héritiers.

Nous vous invitons à lire ci-dessous la déclaration rédigée à cette occasion par Cécilia Suzzoni, au nom du bureau de l’association. Nous vous invitons par ailleurs à consulter le site Avenir Latin Grec qui rassemble de nombreuses informations sur la réforme et à lire les différentes tribunes parues. Nous signalons en particulier : Florence DUPONT, « Les humanités sont indispensables à toute éducation démocratique » ; Marc FUMAROLI, « Le latin est victime des fanatismes égalitaires et utilitaires » ; Michel Zink (Le Point, jeudi 2 avril) ; Monique TRÉDÉ (SEL), « Pourquoi tant d’années de luttes autour des langues anciennes ? ».

On ne se débarrasse pas impunément des humanités, et la conférence de l’ALLE, donnée par Laurent Lafforgue (Médaille Fields 2002 et chercheur à l’Institut des hautes études scientifiques) et Olivier Rey (Chercheur au CNRS, mathématicien et philosophe), « Le latin dans la formation mathématique », nous montre combien le recul d’une véritable formation littéraire nuit à la pensée et compromet notre avenir.

D’autres contributions publiées sur notre site contribuent à nourrir le débat sur la place du latin comme enseignement, et en particulier sur sa place dans l’enseignement du français :

Déclaration du 1er février 2012

Motion du directoire d’Antiquité Avenir sur la réforme du collège

Table ronde au Sénat sur l’avenir des langues anciennes

Antiquité : quelle perspective pour aujourd’hui ?

Au secours ! Le latin revient…

À quoi sert le latin ? La réponse des humanistes

Le latin dans la tourmente

Pour une refondation de l’enseignement du français

Spleen économique et idéal littéraire à l’école

Le latin optionnel à l’agrégation de lettres modernes

Lettre ouverte au jury de spécialité de Lettres modernes de l’ENS Lyon

Quand la culture est prise au piège de la « culture gé »

L’avenir de l’arabe à l’école

Non, le lycée ne doit pas former des spécialistes dès l’âge de 16 ans

Une école en péril de sens

Réforme du Collège :

Déclaration, au nom du Bureau, de la fondatrice et présidente d’honneur de l’ALLE, Cécilia Suzzoni (publiée dans Le Monde, le 4 mai 2015)

Évoquant, il y a maintenant plus de 15 ans, « la disparition programmée du latin » comme référence culturelle majeure de notre enseignement général, nous la disions à la fois injuste et absurde, soulignant qu’elle allait à rebours d’un véritable aggiornamento, indispensable, des études littéraires. Depuis, l’Association ALLE le latin dans les littératures européennes n’a cessé d’œuvrer pour qu’apparaisse avec le maximum de clarté et d’ambition cette présence du latin dans le français, comme langue de culture, et dans les littératures européennes. La préface de notre ouvrage collectif Sans le latin… postfacé par Yves Bonnefoy, entérine ce souci de mettre le latin au cœur d’une réforme ambitieuse des disciplines fondamentales. Loin de l’oublier ou de le minorer, nous rappelions que le Grec, devait également trouver sa place légitime dans une rénovation de l’enseignement de ces langues anciennes, qu’il a tout à gagner de la bonne santé du latin, que rien ne serait plus absurde qu’une concurrence contre nature entre ces deux langues (Utraque lingua/utraeque litterae…).

C’est dire si la réforme du collège en cours, qui prétend intégrer en une sorte de bricolage, confus et rudimentaire, l’enseignement des langues anciennes dans les EPI, au prétexte de familiariser les collégiens avec les « expressions latines ou grecques » pendant le cours de français, n’est qu’une triste caricature de cette discipline nouvelle, ambitieuse, à fonder, dont nous dessinions les contours dans l’Envoi de notre essai (Faisons un rêve…). Telle qu’elle se présente, elle semble plutôt entériner, sous un amas de faux-semblants à même de jeter la confusion dans les esprits des parents et des élèves, la disparition du latin et du grec, en amont comme en aval. Qui peut croire que des orientations sérieuses se feront en classe de seconde sur la base des EPI, alors même qu’aujourd’hui la dimension optionnelle de ces disciplines entraîne au lycée une forte diminution des effectifs ? D’autant que rien n’est évidemment annoncé de la création d’une filière littéraire dotée de son véritable socle épistémologique : soit cet enseignement du latin et du grec qu’ont appelé tour à tour de leurs vœux des esprits aussi différents que ceux de Jean Pierre Vernant et Jacqueline de Romilly ? Ce projet de réforme aussi timide que confus a de quoi alarmer l’ensemble des enseignants des disciplines fondamentales, convaincus de la présence indispensable du latin à tous les moments de la formation et de toutes les disciplines de la mémoire et du langage.

Les démonstrations et propositions que nous avons formulées ces dernières années gardent leur entière pertinence. Elles se trouvent en ligne sur notre site (rubrique Publications et Contributions, avec également le dossier médiatique de Sans le Latin…). Mais la situation actuelle renforce l’urgence de leur prise en compte Nous continuons à penser que le système optionnel est l’impedimentum majeur qui pèse sur les langues anciennes : il en a progressivement fragilisé, amoindri la portée scientifique, placé son enseignement en concurrence déloyale avec les autres disciplines (maintenant 2 langues vivantes !), contraint les enseignants à se dépêtrer héroïquement dans de misérables pièges (rendre attractives les langues anciennes…), dans le même temps où les autres disciplines fondamentales campent sur le territoire des langues anciennes, trouvent en elles le gage permanent de la validité historique et scientifique de leur démarche. La dernière conférence croisée donnée, le jeudi 12 mars 2015, par notre association au lycée Louis-le-Grand a été l’occasion pour Laurent Lafforgue, médaille Fields 2002, de rappeler de la manière la plus claire, la plus objectivement convaincante, le rôle heuristique, méthodologique, pleinement grammatical d’une langue morte qu’on n’est pas tenu de parler !… Son collègue Olivier Rey et lui-même ont apporté la démonstration de l’apport précieux pour les scientifiques des traces, vives et parlantes, sous forme de sédiments laissés par la verticalité et la monumentalité de la composante latine de la langue française.

Toutes les modalités que prendront aujourd’hui les défenses d’un enseignement des langues anciennes sont bienvenues, et les argumentaires classiques qui vont dans ce sens ne manquent pas, nous nous y associons volontiers. Mais, pour notre part, c’est à un véritable débat qui en fait n’a jamais eu lieu que nous en appelons, pour que cesse tout bricolage ou replâtrage, pour que le paysage des études littéraires en France, qui ne cesse de se déliter, retrouve une cohérence doctrinale. Aucune réforme des humanités ne pourra faire l’économie de la connaissance historique de leur objet, laquelle inclut évidemment le latin et le grec. Il faut aussi que les autorités intellectuelles dans leur ensemble cessent de feindre d’ignorer qu’il y a belle lurette que le latin et le grec ont cessé d’être instrumentalisés à des fins conservatrices et réactionnaires. Qu’on renonce donc à mettre, peureusement, misérablement, des guillemets à l’expression « notre culture », comme si elle était à prendre avec des pincettes ! Revendiquons-la au contraire fièrement comme nôtre, non seulement parce qu’elle l’est, de fait, mais aussi parce que, loin de tout repli frileusement identitaire, notre matrice gréco-latine offre ce précieux privilège, à disposition de tous, de se décliner en une pluralité d’altérités : l’Islam, nous le savons, et la chose doit apparaître de plus en plus clairement, est partie prenante de l’héritage gréco-romain. On semble même, ici et là, avoir oublié que la traduction a trouvé, en Occident, son lieu de naissance à Rome, faisant du latin la première langue moderne de l’Europe ; qu’à ce titre le latin reste évidemment le véhicule obligé d’une réappropriation par l’Europe de ses langues de culture. Pense-t-on que de jeunes esprits, dans un système éducatif, moderne, ambitieux, puissent ne pas se sentir concernés par « l’évidence de ces catégories oubliées », que rappelait Yves Bonnefoy dans sa postface ? Sans doute un coup de force, qui irait dans le sens de cette disparition programmée, peut-il réussir, moins par mauvaise volonté ou conviction – chez certains en tout cas – que par étourderie, paresse, irresponsabilité. Les gouvernements qui se succèdent encouragent massivement l’appétit, légitime, des langues vivantes et des études commerciales, mais on ne se débarrasse pas facilement du « grand nom de Rome », et de « la gloire d’Athènes »… Et le déficit culturel de l’Europe ne cesse aussi d’être dénoncé par les esprits les moins suspects de se retrancher dans une défense obsidionale du passé. Sans doute aussi, il y a bien eu de sombres moments dans l’histoire de la culture occidentale où l’on n’a plus su le grec, et où le latin lui-même était en mauvaise posture. Mais alors, comme le disait Thibaudet, qui s’agaçait déjà dans Le tournoi du latin de tant de tergiversations et d’inconséquences, qu’on en appelle franchement à « la démolition », qu’on en finisse avec cette logique soft de taliban. Qui en prendra le risque, sachant de surcroît la responsabilité historique et politique de la France davantage engagée en la matière, compte tenu de la forte singularité linguistique et littéraire que lui a léguée le geste renaissant ?

C’est de toute façon dans une refonte désormais inévitable des disciplines et de la formation des maîtres que nous devons continuer à œuvrer. Il faut cesser de s’enliser dans le piège de réformes dont on voit bien qu’elles ne font qu’aggraver suspicion et malentendus. Repartir sur de nouvelles bases : les bonnes volontés et les compétences ne manquent pas, d’autant que nous disposons aujourd’hui, en modernes que nous sommes, de tous les moyens humains, livresques, scientifiques et techniques de pallier les risques du « présentisme » et de la monosémie des langues.

Il appartient à des autorités politiques responsables, ambitieuses pour l’avenir culturel de leur pays, de mettre un terme à « cette ennuyeuse question du latin qui nous abrutit depuis quelque temps », disait déjà avec humour une nouvelle de Maupassant… Non pas en signant la mort du latin – c’est à la langue française (le français, ce latin des modernes, disait-on, si justement « autrefois ») que l’on porterait ce mauvais coup – mais en redéfinissant sa place, raisonnable et légitime, dans le cadre de cet aggiornamento que nous appelons de nos vœux.

Note : Sans le latin…, sous la direction de Cécilia Suzzoni et Hubert Aupetit, Paris, Fayard – Mille et une nuits, 2012.

Ce texte n’est pas une pétition : il ne constitue pas un appel à signatures. Nous souhaitons sur ces questions lancer un débat à l’échelle nationale, débarrassé des contentieux anachroniques ou inutilement provocateurs. Nous sollicitons le soutien de personnalités venues d’horizons divers mais toujours soucieuses d’inscrire leurs travaux au cœur des disciplines de la mémoire et du langage.

Ce texte a reçu l’approbation et le soutien de :

Yves Bonnefoy.

Tahar Bekri. Poète tunisien. Maître de conférences à l’Université Paris X Nanterre.

Alain Borer. Poète, essayiste, spécialiste de Rimbaud.

Pascale Bourgain. Professeur de littérature latine à l’Ecole nationale des chartes. Membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Frédéric Boyer. Écrivain. Traducteur.

Rémi Brague. Philosophe.

Jean Canavaggio. Professeur émérite de littérature espagnole de l’Université de Paris X-Nanterre. Biographe et spécialiste de Cervantès.

Christophe Carraud. Directeur de la revue et des Éditions Conférence.

Michel Casevitz. Helléniste.

Pierre Caye. Directeur de recherches au CNRS.

Jacqueline Champeaux. Professeur émérite à l’Université Paris-Sorbonne. Administrateur de la Société des Études latines.

Johann Chapoutot. Historien spécialiste d’histoire contemporaine. Professeur à l’Université de Paris-III, Sorbonne nouvelle.

Xavier Darcos. Membre de l’Académie française. Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques.

Régis Debray. Philosophe.

Michel Deguy.

Vincent Descombes. Philosophe. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.

Michael Edwards. Membre de l’Académie française.

Pascal Engel. Philosophe. Directeur d’études à l’École des haute études en sciences sociales.

Marc Fumaroli. Membre de l’Académie française.

Paul Giacobbi. Député. Président du Conseil exécutif de la Corse.

Thomas Grillet. Directeur de la diffusion culturelle à la Bibliothèque de France.

François Hartog. Historien.

Denis Kambouchner. Philosophe. Professeur de philosophie à l’Université Paris I, Panthéon-Sorbonne.

Laurent Lafforgue. Mathématicien. Membre de l’Académie des Sciences, médaille Fields 2002.

Jacques Le Rider. Directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Chaire intitulée « L’Europe et le monde germanique, époque moderne et contemporaine ».

Pierre Manent. Professeur de philosophie politique. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre de recherches politiques Raymond Aron).

Paul. M. Martin. Professeur émérite de l’Université de Montpellier. Président d’honneur de l’Association Vita Latina.

Jean-Michel Maulpoix.

Claudia Moatti. Historienne, spécialiste de la civilisation romaine.

Valère Novarina. Écrivain, dramaturge, metteur en scène.

Jean–Baptiste Para. Rédacteur en chef de la revue Europe.

Thomas Pavel. Professeur de littérature française et comparée à l’Université de Chicago. Titulaire en 2005/2006 de la Chaire internationale du Collège de France.

Guy Samama. Philosophe. Directeur de la revue Approches.

John Scheid. Professeur au Collège de France, Chaire Religion, institutions et société de la Rome Antique.

Heinz Wismann. Philosophe, philologue.

Michel Zink. Titulaire de la Chaire de littérature médiévale au Collège de France. Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

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